Crise sécuritaire à Diffa : Les droits humains à l’épreuve de l’état d’urgence

Située au sud-est du Niger, la région de Diffa est l’une des plus sinistrées du pays depuis l’éclatement en février 2015 de l’insurrection armée de Boko Haram et l’instauration des mesures d’état d’urgence. Cette région des confins du lac Tchad, frontalière des États fédérés nigérians de Borno et Yobé, subit de plein fouet les conséquences de cette insurrection armée ; elle traverse aujourd’hui une situation socioéconomique particulièrement difficile et compte le plus grand nombre de réfugiés et déplacés internes dans le pays. La direction régionale de l’état civil (DREC) a recensé au 30Juin 2019, quelques 248 887 personnes vivant hors de leur résidence habituelle, dont 104 288 déplacés internes, 118 868 réfugiés venus essentiellement du Nigeria voisin et 25 731 retournés. La plupart de ces personnes dépendent, en partie, de l’aide internationale apportée par une multitude d’organisations humanitaires présentes sur le terrain.

Selon le rapport d’évaluation des besoins humanitaires, publié par le bureau de coordination des affaires humanitaires des Nations unies au Niger (OCHA), la situation humanitaire s’annonce difficile dans la région de Diffa pour l’année 2019. L’organisme onusien estime que, sur une population totale d’environ 738 000 habitants vivant dans cette région, « près de 461 323 personnes, dont notamment 120 000 refugiés, 104 000 PDI et près de 26 000 retournés, auront besoin d’une assistance humanitaire dont 289 211 en assistance alimentaire et 100 855 personnes dans le secteur de la nutrition ». Ces chiffres confirment que la situation humanitaire ne s’est guère améliorée dans cette région depuis février 2015, comme l’ont affirmé 69% des personnes interrogées au cours de l’enquête réalisée par Alternative Espaces Citoyens.

Près de quatre (4) années après l’instauration de l’état d’urgence, les populations civiles de la région de Diffa continuent de vivre dans la psychose. L’insécurité persiste toujours dans la plupart des départements, avec son lot de personnes tuées, blessées ou enlevées et de destruction de biens matériels. Le monitoring réalisé par l’association Alternative Espaces Citoyens indique que les principaux protagonistes du conflit armé en cours dans la région de Diffa, à savoir le groupe BokoHaram et les forces régulières nigériennes, ne se sont pas montrés respectueux des normes du droit international humanitaire. La défiance à l’égard de ces normes est d’ailleurs l’un des traits distinctifs des insurgés de BokoHaram, qui sont largement perçus par les populations locales comme des « criminels sans foi ni loi » ; mais, il importe de souligner que cette attitude de défiance à l’égard des normes du droit international humanitaire est aussi perceptible, même si c’est à un degré moindre, au sein des forces régulières nigériennes.

Selon les résultats de l’enquête d’Alternative, 4% seulement des personnes interrogées pensent que le respect des droits et de la dignité des personnes par les forces de défense et de sécurité (FDS) est « très satisfaisant » et 27% qu’il est « satisfaisant » ; tandis que 45% de personnes le jugent « faible », 13% « très faible » et 11% qu’il est simplement « absent ». Ces chiffres indiquent que l’un des plus grands défis de la lutte contre l’insurrection armée de BokoHaram reste et demeure le renforcement de la confiance entre l’armée nigérienne et les citoyens. Les résultats de l’enquête montrent que la plupart des personnes interrogées ne sont satisfaites ni de la façon dont les forces régulières assument leur mission de protection des populations, ni de la manière dont elles s’acquittent de leurs obligations en matière de respect des droits humains sur le terrain des opérations.

Entre février 2015 et décembre 2018, plusieurs cas de violations commises par des éléments des forces régulières ont été signalés par les points focaux de l’association Alternative Espaces Citoyens dans la région de Diffa ; mais, ils sont restés largement peu connus du public, suggérant que la présence massive d’acteurs humanitaires sur un terrain de conflit armé, si elle est bien utile pour couvrir les besoins de base des populations civiles, peut se révéler d’une efficacité très limitée en matière de protection et défense de leurs droits. Le « mutisme » des acteurs humanitaires, qu’ils soient internationaux ou nationaux, n’est, cependant, pas le principal facteur favorisant les violations des droits humains. Le nombre particulièrement élevé des violations découle, en grande partie, de la défaillance du système judiciaire nigérien.

En effet, il importe de souligner que la protection des droits humains, en temps de paix comme en temps de conflit armé, est d’abord du ressort de la justice. Les résultats de l’enquête d’Alternative Espaces Citoyens montrent que très peu de personnes croient que la justice puisse sanctionner les cas de violations commises aussi bien par les agents publics que par BokoHaram ou d’autres groupes armés. La majorité des personnes interrogées, soit 62%, estiment qu’il n’est pas possible de « formuler des recours devant la justice et avoir gain de cause contre les abus et violations des droits de l’Homme commis par les agents de l’État ou des éléments de BokoHaram » ; et à la question de savoir si elles font confiance à la justice pour sanctionner des violations des droits humains commises par des agents de l’État, 60% répondent par la négative.

A travers le présent rapport, il ressort que la situation sécuritaire, humanitaire et des droits de l’Homme reste toujours préoccupante dans la région de Diffa ; et ce, malgré les efforts déployés par différents acteurs nationaux et internationaux qui, avec des stratégies et des approches variées, sont engagés dans la recherche d’une solution à la crise. Le rapport montre que, si les stratégies et approches des uns, notamment des acteurs humanitaires, contribuent réellement à une atténuation concrète des effets de la crise, celles des autorités politiques nigériennes n’ont fait qu’aggraver la situation sur le terrain. Les mesures d’état d’urgence, en vigueur depuis le 10 février 2015, ont non seulement provoqué un désastre économique et social, mais aussi ouvert la voie à des violations graves des droits humains.

Après plus de trois (3) ans de mise en œuvre de la stratégie « du tout sécuritaire », les résultats sont plus que mitigés en matière de sécurité mais aucun infléchissement conséquent n’est observable sur le terrain, hormis la modeste initiative de réinsertion des « repentis » de BokoHaram. Les résultats de l’enquête menée par Alternative Espaces Citoyens indiquent, toutefois, que plus de 80% des personnes interrogées gardent toujours l’espoir de voir le conflit prendre fin ; et si 51,8% de ces personnes continuent toujours de croire que la solution à la crise réside dans la poursuite de l’option militaire, on ne peut ignorer que 32,5% sont convaincus que seul le dialogue avec les insurgés peut ouvrir la voie à un retour rapide de la paix dans le bassin du lac Tchad.  PDF_Rapport

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