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Insuffisance de terres agricoles dans le département de Kanché

Quand la crise du capital foncier menace le droit à l’alimentation 

Dans le département de Kantché au sud de la région de Zinder, sur une superficie totale cultivable estimée à 195 000 ha la superficie cultivée actuellement atteint 147 747 ha.    Soit un taux record national de pression agricole de 75,77 %.  Les spécialistes des questions foncières qualifient cette situation de crise foncière, du fait de l’insuffisance criarde de terres agricoles. Un fait qui  a tendance à compromettre dangereusement la  satisfaction d’un droit fondamental, celui de l’alimentation. Ce qui pousse certaines  populations sur les chemins périlleux de la migration clandestine.

 « Aujourd’hui, l’agriculture et l’élevage n’arrivent plus à satisfaire les besoins élémentaires d’une population en pleine expansion, de plus en plus confrontée à une exigüité des terres de cultures et des conflits récurrents au sein des familles et entre les familles. » C’est ainsi que Maman Sani Ousmane, le maire de la commune rurale de Kourni décrivait la situation à laquelle fait face la population du département de Kantché. Il représentait les maires des neuf  communes du département, à une réunion d’information sur la crise migratoire dans la zone, organisée le 22 octobre 2016 à Niamey, par une structure dénommée association pour le développement villageois.

Quand il parle du canton de Kantché, du temps de son enfance, il y a juste une trentaine  d’année, Maman Sani Ousmane ne cache pas sa nostalgie de ce qu’il appelle « le bon vieux temps ». C’était, lorsque l’agriculture et l’élevage, très florissants dans cette zone, assuraient tous les besoins de la population.

Depuis quelques années, du fait aussi des aléas liés aux changements climatiques, les terres de plus en plus pauvres, surexploitées, sont insuffisantes pour une population sans cesse croissante, ne peuvent plus assurer une production suffisante pour l’alimentation de tous. C’est la situation que vit Ado, un père de famille du village de Sabon Gari, qui exploite le champ familial avec son frère qui est aussi père de famille. Avant, se lamente-il, « la récolte nous permettait de nourrir nos familles pendant toute l’année. Depuis quelques années les champs, trop petit et très pauvres, produisent à peine de quoi subvenir à nos besoin pour trois mois ». Pour combler le déficit ainsi généré, leurs enfants ont bien essayé de tenter leur chance au Nigeria voisin. Malheureusement, là-bas aussi la situation est guère reluisante, du fait de la chute de la Naira, la monnaie locale, mais aussi de la guerre contre Boko Haram. Comme la plupart des jeunes de la localité, ils se sont alors tournés vers l’Algérie ou de la Libye, à la différence de Dan Daouda qui est également habitant de la localité.

Contrairement à ces derniers, celui-ci a pu se trouver quelques m2 dans la vallée du village de Tassaou où sont pratiquées des cultures irriguées. Cependant, il ne cesse de se plaindre du manque de moyens financiers pour acheter des engrais. Moins optimistes et n’entrevoyant pas de solution dans l’immigration qu’il trouve incertaine et périlleuse.

En fait, il faut le reconnaitre, jusque là, les efforts et les mesures dissuasives mises en œuvre pour stopper ces flux migratoires n’ont pas été vraiment à la hauteur. « À voir le degré de pauvreté de la majeure partie de la population, je me demande souvent où sont les résultats de tous les investissements que sont censés faire les programmes, projets et autres ONG qui interviennent dans la région », s’interroge El Hadj Shitou, un député national ressortissant du département de Kantché.

Les problèmes fonciers, une bombe à retardement

Ingénieur agronome, également ancien secrétaire permanent du Code rural, Mamalo Abdoulkarim, a effectué une étude intitulée « Diagnostic d’une crise multidimensionnelle et perspectives pour un programme de développement durable dans le département de Kantché ». Le spécialiste des questions foncières relève d’abord dans cette étude, qu’en fait, c’est toute la région de Zinder qui est confrontée à l’insuffisance des terres de culture.

 La situation d’occupation foncière représente selon Mamalo Abdoulkarim une  véritable « bombe à retardement ».    Alors qu’on parle déjà de saturation foncière dans les régions de Dosso et Maradi, de Zinder,    où les taux d’occupation agricole vont  respectivement de 34 à plus de 50 % de leurs superficies totales, dans le département de Kantché les statistiques sont encore plus alarmantes. Citant un rapport de l’année 2015 de la Direction Départementale de l’Agriculture,  l’agronome relève que la superficie cultivée actuellement atteint 147 747 ha  sur  superficie totale cultivable est de 195 000 ha pour du département. Ce qui constitue  un taux de pression agricole de 75,77%. Une situation assez préoccupante, car le capital foncier représente le seul capital productif dans le département.

 « Avant, quand une nouvelle mariée arrive dans sa belle famille, le beau père lui offre un lopin de terre où elle pourra pratiquer des cultures de rente et subvenir à certains de ses besoins », se rappelle Salissou Mato, un enseignant ressortissant de la zone de Kanché. Aujourd’hui, regrette-il, « cette pratique est en voie de disparition,  du fait de l’insuffisance des terres de cultures ». En prenant en compte les données nationales, la situation du département semble être totalement inédite, car frisant l’étouffement, commente Mamalo Abdoulkarim, qui estime par ailleurs qu’avec un taux de croissance démographique des plus élevés du pays, voire du monde, « Kantché se trouve objectivement dans une posture d’étouffement, voire d’explosion sur le plan de l’occupation des terres ».  D’autres facteurs sont susceptibles d’aggraver davantage la situation. «  Si à ce phénomène s’ajoutent une  mal-gouvernance locale,  un marché foncier implacable,  un accaparement des terres sauvage sous un trafic d’influence de tous genres,  un tissu familial en déliquescence,  les populations du département ne vivant que de la terre se trouvent dans l’œil du cyclone », ajoute Mamalo Abdoulkarim, qui tire ainsi la sonnette d’alarme.

Dores et déjà,   indique t-il, les conflits fonciers font partie des affaires qui occupent les juges dans la zone. Citant des  sources judiciaires, le spécialiste des questions foncière, révèle que  rien que pour l’année 2010, le tribunal de Matamèye a connu et documenté 36 conflits dont 20 pour le seul village de Birgi Saboua, dans la commune rurale de Kourni au sud du département. En moyenne, souligne t-il,  ce sont 720 conflits qui polluent chaque année la vie des communautés du département. Soit un taux de prévalence d’au moins deux (2) conflits par jour.

Ajouté à d’autres facteurs, le problème d’insuffisance des terres agricoles  contribue à aggraver également la situation de déficits chroniques que connait la région de Zinder  sur le plan agricole et même pastoral.

À l’issue de la campagne agricole 2015, ce sont 1254 villages qui ont été déclarés déficitaires à plus de 50%, pour une population totale de 1 026 704 habitants. Du coup, sur le plan  nutritionnel, la région a affiché un taux de Malnutrition Aigue Globale (MAG) de 18%. En plus, la région doit faire face aux besoins de réinsertion socioéconomique des migrants rapatriés d’Algérie, estimés à 9 833 personnes, dont 3 312 mineurs. Soit 6 470 ménages en mai 2016. Dans leur majorité, ces migrants seraient des ressortissants du département de Kantché. Pour le cas de ce département, classé depuis 2013 zone d’insécurité alimentaire par le Système d‘Alerte Précoce (SAP), Abdoulkarim Mamalo  indique que cette zone, qui connait une très forte pression démographique et est en proie, de façon récurrente, à des crises alimentaires et nutritionnelles.

Un phénomène migratoire qui prend de l’ampleur

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Mamalo Abdoulkarim  qualifie la situation de la zone de Kantché  de  « crise foncière ou  bombe à retardement ». Toute la question est de savoir alors s’il est possible de la désamorcer, pendant qu’il est encore temps. Pour le moment, une des conséquences de cette situation, est le phénomène migratoire. Et selon un rapport de la mission conjointe Cluster Sécurité Alimentaire qu’il cite dans son étude,  le phénomène migratoire dans le département a pris de l’ampleur à partir de 2013, avec  des sorties massives de femmes avec ou sans le consentement de leurs maris, le plus souvent accompagnées d’enfants mineurs. Leurs destinations sont Alger, Tamanrasset, Waharam en Algérie et certaines villes de la Libye. À la recherche souvent d’un mieux être, ces victimes de la crise foncière, deviennent les  victimes du Sahara.

Face aux problèmes qui accablent le département de Kantché, les propositions de solutions ne manquent pas. « L’agriculture et l’élevage constituent des opportunités indéniables pour le développement du département. Aussi, la recherche d’une intégration harmonieuse de ces deux mamelles est un des enjeux impératifs du siècle dont ne peuvent faire l’économie ni les agriculteurs, ni les éleveurs, ni l’Etat, encore moins les collectivités territoriales et les partenaires au développement du département », estime Mamalo Abdoul Karim.

Le défi à relever pour l’Etat et ses partenaires consiste désormais à faire en sorte que les maigres terres disponibles produisent assez pour nourrir la population. C’est à ce prix que  l’Etat peut garantir le droit à l’alimentation et à la souveraineté alimentaire consacré par la constitution du 25 Novembre 2010. Ce qui engage l’Etat à avoir une vision stratégique pour lutter contre les inégalités et à investir dans le secteur de l’agriculture et de l’élevage pour mettre les populations à l’abri de la faim et de la malnutrition. Un cas pratique à prendre à charge par la très médiatisée initiative 3N, à travers laquelle les autorités ambitionnent d’assurer la sécurité alimentaire en faisant en sorte que les « Nigériens nourrissent les Nigériens », par leurs propres efforts de production et d’organisation.

 

                                                Souley Moutari Saidou

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