Le droit fondamental d’être à l’abri de la faim, en péril

Au Niger, un des rares pays d’Afrique de l’ouest à avoir consacré explicitement le droit à l’alimentation dans sa Constitution, plus de 2 millions de personnessouffrant de la faim et de la malnutrition ont été recensés en 2017 par le gouvernement et ses partenaires. La faim et la malnutrition n’épargnent aucune région du pays.Une situation assez malheureuse, qui indique que des efforts importants doivent encore consentis afin de rendre effectif « le droit d’avoir un accès régulier, permanent et libre, soit directement, soit au moyen d’achats monétaires, à une nourriture quantitativement et qualitativement adéquate et suffisante, correspondant aux traditions culturelles du peuple dont est issu le consommateur, et qui assure une vie psychique, individuelle et collective, libre d’angoisse, satisfaisante et digne ».

Selon des informations publiées sur le site du bureau de coordination humanitaire des Nations Unies au Niger (OCHA), « 1,3 millions de personnes sont en insécurité alimentaire, soit 7% de la population globale du pays », et « 1,5 million de personnes auront besoin d’une assistance nutritionnelle, dont247 500 enfants souffrant de malnutrition aiguë sévère (MAS), 636 210 de malnutrition aiguë modérée (MAM) ainsi que 175 526 femmes enceintes et allaitantes et 33 836 enfants de 6 à 23 mois à risque de malnutrition ».Le gouvernement nigérien n’ayant pas réalisé cette année (pour des raisons qu’on ignore) la traditionnelle enquêtenationale de vulnérabilité à l’insécurité alimentaire des ménages (EVIAM), ces chiffres ont été établis à partir des résultats des campagnes agricoles et pastorales et de quelques enquêtes ponctuelles, plus ou moins localisées, réalisées par divers acteurs. Les informations tirées du Cadre harmonisé, instance pluri-acteurs de concertation autorisée à fournir des statistiques sur le sujet, aucune région du pays n’est épargnée.

La région de Maradi enregistre le nombre le plus élevé des personnes en insécurité alimentaire avec plus de 385 246 individus en besoin d’aide humanitaire ; elle est suivie de Diffa  etTillabery, avec respectivement 340 000 et 243 352 personnes dans la même situation. Les régions deZinder et Tahoua totalisent quant à elles respectivement 208 431et199 030 ; tandis que les régions de Dossoet Agadez comptent respectivement 102 394 et 39 379personnes affectées. Les projections du Cadre Harmonisé indiquentqu’aucun département du pays n’est en situation de sécurité alimentaire. Sur la soixantaine de départements que compte le pays, seulement 8 présentent une situation d’insécurité alimentaire « minimale ». Il s’agit des départements d’Ingall dans la région d’Agadez, Tassara, Madaoua, Malbaza etKoni dans la région de Tahoua,Gaya dans la région de Dosso et Say et Gotheye dans la région de Tillabéry.

Selon la même source, plus de 40 départements sont, d’ici Aout 2017, « sous pression », et 12 autres en « crise ».A l’exception de N’gourti et N’guigmi, tous les départements de la région de Diffa sont classés en situation de crise. Dans la région de Tillabéry, trois (3) départements (Abala, BaniBangou et Ouallam) sont considérés également en situation de crise alimentaire ; tout comme les départements de Mayahi et GuidanRoumdji dans la région de Maradi, Kantché et Tanout dans la région de Zinder et Loga dans la région de Dosso.Cette situation d’insécurité alimentaire et nutritionnelle généralisée estofficiellement attribuée à un bilan céréalier et fourrager particulièrement déficitaire ; c’est souvent d’ailleurs le cas au Niger où, depuis un certain temps, une campagne agro-pastorale sur deux est pratiquement déficitaire. Ce qui constitue un défi considérable dans un pays où la majorité de la population tire toute sa subsistance de sa propre production.

Une situation liée à un déficit céréalier et fourrager

 Selon les services techniques du secteur de l’agriculture, le bilan global établi à l’issue de la campagne agricole 2016 est «excédentaire de l’ordre de 224 585 Tonnes»; mais, ils notentque«3837 villages sont déficitaires »sur un total de12 266 villages agricoles que compte le pays, soit 31,2% du nombre total. Ces sources indiquent que 877de ces villages déficitairesse retrouvent dans la région de Maradi,869 à Tillabéry, 773 à Tahoua, 446 à Dosso, 112 à Agadez,94 à Diffa et 11 à Zinder. L’évaluation de la campagne fait ressortir que le déficit fourrager s’établit à plus de 12,2 millions de tonnes de matière sèche; la région deTahoua est la plus affectée avec un déficit de 2,9 millions de tonnes.

Le déficit est supérieur à2 millions de tonnes dans les régions de Zinder,Tillabéri etDiffa; tandis que dans les autres régions, il est inférieur à un million de tonnes, sauf à Maradi où il est de 1,5 million. Ce déficit correspond à environ 48% du besoin global du cheptel national. Cette situation vient rappeler que depuis 2011, le bilan fourrager est constamment déficitaire; puis, l’évolution au cours de ces dernières années indique une tendance à l’aggravation.En 2011, le déficit était de10,2 millions de tonnes de matière sèche, 6,7 millions en 2013, 8,4 millions en 2014 et 8,6 millions de tonne en 2015.

Face à la gravité de la situation,le gouvernement et ses partenaires ont élaboré un Plan de Réponse d’un montant de 271 millions de dollars, soit environ 135,5 milliards FCFA. L’annoncea été faite par le Premier Ministre sous la forme d’un appel de fonds lancé à la communauté internationale pour venir en aide aux personnes vulnérables vivant en territoire nigérien. Le bilan à mi-parcours établi par OCHA, lors de la réunion du 17 Mai dernier, indique un taux de mobilisation des ressources de 51% ;à la grande satisfaction de la communauté humanitaire, qui salue une nette progression du rythme de mobilisation des fonds, comparativement à l’année 2016 où, à la même période, ce taux n’était que de22%.

Au Niger, c’est devenu une tradition pour le gouvernement et la communauté humanitaire d’élaborer et de mettre en œuvre, depuis 2010, ce type de plans d’urgence dont le budget annuel requiert plusieurs centaines de millions de dollars ; mais, le niveau de mobilisation effective des ressources, ainsi que le niveau d’exécution des plans d’urgence, est resté en dessous des prévisions. Les chiffres de OCHA au Niger indiquent que les financements humanitaires ont connu une augmentation sensibleentre 2011 et 2014 passant de 54% à 65%, et que le niveau de financement a connu une hausse exceptionnelle pour atteindre 81% en 2013 alors qu’en 2012, il était à 64%.Les principaux contributeurs sont par ordre les Etats-Unis d’Amérique, suivis de la Commission Européenne, le Japon, le Royaume Uni, la Norvège, la Suède, le Canada, l’Arabie Saoudite, la Finlande, le Danemark, la France, l’Irlande et la Suisse.

Financer l’urgence ou le développement ?

 Au cours de ces dernières années, les ressources financières destinées à la gestion d’urgence, visant généralement à subvenir aux besoins alimentaires et nutritionnels des personnes vulnérables en période de crise,ne fait que monterprogressivement ; tandis que celles destinées aux actions de développement,visant à agir sur les véritables causes structurelles des crises alimentaires et nutritionnelles, s’amenuisentau fil des années comme une peau de chagrin. C’est ce qui ressort en filigranedu rapport bilan (2011-215) de mise en œuvre de l’Initiative 3N (les Nigériens Nourrissent les Nigériens), qui est le cadre stratégique national sectoriel de référence en cette matière.

Le rapport de l’initiative 3N indique que sur un budget prévisionnel de 763, 5 milliards FCFAdestiné à financer les projets et programmes de développement, seulement 148, 6 milliards ont été mobilisés, soitune réalisation budgétaire d’environ 19% seulement, correspondant à moins de 30 milliards CFA par an ; tandis que pour les actions d’urgence (gestion des crises alimentaires et nutritionnelles), le taux cumulé de mobilisation franchit le cap de 278%.

De façon désagrégée, l’on s’aperçoit que sur un budget prévisionnel de 115 milliards inscrits au titre du volet « Gestion des crises alimentaires », 351,05 milliards ont été mobilisés entre 2012 et 2014, soit un taux de mobilisation de 305%. Le niveau de mobilisation a été également appréciable pour le volet « Prise en charge de la malnutrition » ; car, le rapport du Haut commissariat à l’initiative 3N indiqueque, pour une prévision de 50 milliards, plus de 108,04 milliards ont été mobilisés, soit un taux d’exécution de 216% au moins.Le déséquilibre évident en matière de financement entre actions d’urgence et actions de développement ne traduit pas seulement une absence de vision de la part des autorités ; il s’inscrit dans une longue tradition de désengagement de l’Etat, inaugurée par les politiques d’ajustement structurel des années 1980 et 1990.

C’est le lieu de souligner également que le désengagement de l’État est manifeste aujourd’hui tant en matière de financement que de la coordination des interventions même dans le domaine de l’urgence ; car, la contribution propre de l’Etat au financement des interventions ne dépasse guère 23%,oscillant même constamment autour de quelques 500 petits millions de francs CFA pour ce qui est spécifiquement de la lutte contre la malnutrition. C’est là une situation bien malheureuse dans un pays où la malnutrition et la sous-alimentation sont pourtant constamment pointées comme des défis majeurs à relever afin de réaliser les droits des enfants et des femmes.

Aujourd’hui, l’on assiste à un désengagement progressif des institutions publiques au profit des organisations humanitaires, qui ont su développer une assistance de substitution en plein essor. Les institutions publiques devant assurer la cohérence et la coordination des actions humanitaires, qu’il s’agisse du Ministère de l’Action humanitaire ou du Dispositif national de prévention et de gestion des catastrophes et crises alimentaires (DNPGCCA), manquent de cohérence et de vision ; ellesdonnent ainsi l’impression d’être plus spectatrices qu’actrices de la gouvernance humanitaire, et parfois même l’impression qu’elles ne sont tout simplement que des objets entre les mains des organismes humanitaires internationaux.

On sait déjà que les fonds inscrits pour des actions d’urgence sont, le plus souvent, mobilisés et gérés principalement par les agences des Nations Unies ; et ce,sans que les institutions publiques nationales ne puissent réclamer un réel mécanisme de transparence et de reddition de compte pour en garantir l’efficacité et l’efficience. Le site d’OCHA rapporte, par exemple, qu’environ « 85% des fonds mobilisés en 2014ont été alloués aux agences humanitaires du Système des Nations Unies et à l’Organisation Internationale pour les Migrations (OIM) », et que « les 15% restants ont été alloués aux organisations non-gouvernementales (ONG) ».

Une espérance déçue

 Devant une telle situation, il est frappant de constater que le gouvernement se confine au statut de héraut de l’humanitaire, enclin à lancer, de façon cyclique, des « appels à la communauté internationale » pour financer le traditionnel plan de réponse stratégique dont l’élaboration lui échappe parfois. C’est pourtant dans le souci de sortir de cette malheureuse situation que le constituant nigérien, sous l’impulsion des organisations de la société civile et des organisations paysannes, a consacré explicitement le droit à l’alimentation à travers l’article 12 de la Constitution du 25 Novembre 2010.

Le constituant nigérien a cru bon également d’élever, au rang des principales priorités nationales, les domaines de l’agriculture et de l’élevage ; en indiquant notamment que les ressources publiques, celles issues de l’exploitation des ressources naturelles en particulier, doivent être investies en priorité dans ces secteurs.Ces dispositions de la Constitution nigérienne s’inscrivent dans la droite ligne de l’article 2 du Pacte International relatif aux Droits Economiques, Sociaux et Culturels (PIDESC),qui engage les Etats parties à « agir au maximum de leurs ressources disponibles pour réaliser progressivement » les droits reconnus par ledit Pacte, dont le droit à l’alimentation.

Au lendemain de l’adoption de la Constitution, nombre d’observateurs et d’acteurs de la société civile y ont vu un signe d’espérance dans un pays régulièrement confronté à des crises alimentaires et nutritionnelles; espérance d’une augmentation substantielle des allocations budgétaires en faveur de l’agriculture et de l’élevage pour briser le cycle infernal de la faim devenue endémique.La situation alimentaire et nutritionnelle actuelle montre que, très malheureusement, le changement de cap espéré n’est visiblement pas encore à l’œuvre ;et cette année encore, plus de deux millions de Nigériens devront compter sur l’assistance de la communauté humanitaire internationale pour se nourrir.

                                                            DIORI Ibrahim

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