Le consortium Droit à l’alimentation fait des recommandations au gouvernement
Du 10 au 22 juillet dernier, le Consortium des organisations de la société civile nigérienne composé d’Alternative Espaces citoyens, ANDDH, AREN, Mooriben et Timidria, a effectué, dans une approche basée sur le droit, une mission de suivi de la gestion, par les autorités de la VIIème République et autres acteurs humanitaires, de la crise alimentaire en cours. Cette mission qui a concerné toutes les régions du pays, a parcouru les 22 départements les plus touchés par la crise, 44 communes, 132 villages et s’est entretenue avec 396 chefs de ménages. Objectif : apprécier l’impact des interventions d’urgences et humanitaires dans la vie concrète des millions de personnes reconnues en insécurité alimentaire. A l’issue de cette mission et au regard de la gravité de la situation constatée sur le terrain, le Consortium Droit à l’Alimentation et la Souveraineté alimentaire a rendu publique, le 4 août dernier, une déclaration de presse à l’effet d’attirer l’attention du gouvernement sur la nécessité de prendre instamment des mesures concrètes pour alléger les souffrances des personnes durement affectées par la succession des crises alimentaires. Cette déclaration contient des constats de terrain et une série de recommandation à l’endroit du gouvernement.
Des constats
L’insuffisance, voire l’insignifiance, des appuis au regard de la gravité de la crise et du niveau de vulnérabilité des populations rurales et périurbaines.
La flambée des prix des denrées alimentaires, dans un contexte marqué par une érosion considérable des moyens de subsistance des populations, du fait non seulement de la succession des crises de plus en plus grave et rapprochées, mais aussi de la chute drastique des revenus liés aux transferts des migrants en raison des conflits régionaux. A titre illustratif, il faut noter que les prix du sac de mil de 100Kg varient, lors du passage de la mission, entre 30.000f et 40.000fCFA ; un seuil jamais atteint dans notre pays.
Le retard insoutenable dans la mise en œuvre des interventions, en particulier des opérations de distribution gratuite ciblée des vivres (DGCV) qui ne sont pas encore effectives.
Le caractère arbitraire, et souvent mafieux, des opérations de ciblage qui restent dans la plupart des cas l’affaire des ONG et d’une certaine aristocratie locale.
Le phénomène de détournement des appuis dans certaines localités, illustré par les cas emblématiques d’Akoubounou dans le département d’Abalak et de Guidiguir dans la région de Zinder.
Le surendettement des populations, qui peut compromettre, si l’on n’y prend garde, leur relèvement même en cas de bonne récolte, en raison des modalités de paiement impitoyables imposées par les créanciers ; La non prise en compte des besoins spécifiques de certains groupes vulnérables, notamment des femmes et des éleveurs dans les opérations d’urgence.
La très faible coordination des interventions sur le terrain, qui donne l’impression d’un véritable cafouillage savamment orchestré pour faire main-basse sur les maigres appuis.
Au cours de cette mission de terrain, les enquêteurs du Consortium ont fait le constat amer que dans certains endroits, les populations font recours à certaines stratégies extrêmes de survie telles que la consommation massive des plantes sauvages, la réduction du nombre et de la qualité des repas journaliers, le surendettement, la vente, sinon le bradage des champs et autres biens de production, la migration, la vente de charbon…etc.
Par ailleurs, la mission a constaté que la campagne agricole et pastorale peine à s’installer dans bien d’endroits, et qu’il n’y a pas encore assez de points d’eau pour les animaux. La situation fourragère est elle aussi loin d’être reluisante, et nombre de paysans ont encore leurs semis entre leurs mains.
Aussi, avec l’apparition des ennemis des cultures, notamment les criquets, doublée de la mauvaise répartition de la pluviométrie dans l’espace et dans le temps, les paysans ne cachent pas leur détresse.
Recommandations à l’endroit du gouvernement
Dans l’immédiat :
Prendre instamment des mesures pour contrôler la flambée des prix des denrées alimentaires conformément aux obligations constitutionnelles du gouvernement de protéger et de réaliser le droit à l’alimentation des citoyens ;
Augmenter significativement le tonnage et procéder à la généralisation de la distribution gratuite des vivres jusqu’à l’effectivité des prochaines récoltes ; et ce conformément aux principes de proportionnalité de la réponse par rapport à l’ampleur de crise édicté non seulement par la Charte pour la prévention et la gestion des crises alimentaire, mais aussi par le plan de contingence établi par l’État nigérien lui-même ;
Multiplier les points de distribution gratuite et les rapprocher des populations bénéficiaires ;
Prendre instamment des dispositions adéquates pour que l’aide parvienne aux véritables personnes vulnérables ;
Mettre tout en œuvre pour identifier et châtier les auteurs, coauteurs et complices de détournement des appuis destinés aux personnes vulnérables ;
Créer les conditions d’une meilleure participation des personnes vulnérables dans le processus de ciblage et dans la réalisation/exécution des interventions humanitaires ;
Assurer une bonne coordination des interventions sur le terrain par les comités régionaux et sous régionaux de prévention et de gestion des crises alimentaires, et amener les ONGs et les organismes humanitaires à inscrire leurs interventions dans le cadre du plan de soutien gouvernemental.
A court terme :
Prévoir un mécanisme de commercialisation rémunérateur au profit des producteurs à travers notamment l’OPVN pour éviter le bradage des récoltes à l’issue de la campagne agricole en cours ;
Créer les conditions d’une meilleure protection des revenus des petits producteurs à travers la régulation du marché agricole ;
Mettre un accent particulier sur les actions de prévention des crises et sortir du cercle vicieux des crises alimentaires à répétition ;
Renforcer et développer les programmes d’appui aux cultures irriguées et prendre en compte la nécessité de prévoir des mesures d’accompagnement pour assurer la conservation, la transformation et la commercialisation ;
Accroître conséquemment les investissements dans le secteur agricole en vue d’atteindre la souveraineté alimentaire ;
Assurer un bon maillage et harmoniser les institutions en charge de la prévention et de la gestion des crises alimentaires, conformément à la Charte et aux instruments juridiques nationaux et internationaux en vigueur ;
Saisir l’opportunité de la réforme en cours du dispositif national de prévention et de gestion des crises alimentaires, pour bâtir un dispositif plus participatif et respectueux des principes de la Charte et des instruments juridiques internationaux et nationaux ; autrement dit, un dispositif au sein duquel tout le monde peut constater que des principes élémentaires tels que l’alignement des donateurs sur les choix de politique du gouvernement, la participation des OSC dans le processus, la responsabilité et la reddition des comptes sont scrupuleusement respectés.