Selon des sources locales, plus d’une dizaine de personnes ont perdu la vie au cours de cette semaine dans la région de Diffa, suite à des affrontements entre des membres des communautés Peulh et Buduma. Ces affrontements meurtriers sont intervenus à peine trois (3) jours après une rencontre tenue à Kablewa, le samedi 25 juin, entre le Préfet du département de N’guigmi et les responsables coutumiers des deux communautés; ils s’inscrivent dans une longue série de violences communautaires, qui ont fait déjà des dizaines de morts en l’espace d’un mois seulement.
En effet, il importe de rappeler que les premiers affrontements les plus meurtriers entre des membres des communautés Peulh et Buduma ont été signalés peu avant le mois de ramadan; presque en même temps que les attaques sanglantes de Boko Haram contre les camps militaires de Bosso. Lors de sa visite de terrain dans la région de Diffa, le Ministre d’État, Ministre de l’Intérieur, M. Bazoum Mohamed, a été saisi de la gravité de la situation par des responsables coutumiers; et c’est d’ailleurs à son initiative que les autorités régionales ont organisé la rencontre de Kablewa du samedi dernier en vue d’arrêter l’escalade de la violence.
Selon des membres de l’antenne régionale de Diffa de l’association Alternative Espaces Citoyens, qui y ont pris part à titre d’observateurs, la rencontre de Kablewa, qui devrait être présidée par le gouverneur de la région, a été finalement dirigée par le Préfet de N’guigmi; elle a été plus une occasion de passer aux leaders communautaires un message du Gouverneur de la région qu’une conclave de réconciliation comme semble l’avoir souhaité le Ministre de l’Intérieur lui-même.
En effet, le compte rendu de cette rencontre de Kablewa établi par l’équipe d’Alternative fait ressortir que le Préfet de N’guigmi a rencontré séparément les leaders communautaires Peulh et Buduma pour leur demander de mettre fin aux affrontements meurtriers entre des membres de leurs communautés respectives et leur annoncer deux mesures prises par le Gouverneur. La première est relative à un ordre d’évacuation du lit du lac Tchad, dans un délais de trois (3) jours à compter du samedi, par tous les membres de la communauté Peulh organisés en groupe d’autodéfense; et la seconde porte sur une autorisation accordée à des membres de la communauté Buduma d’aller dans le lit du lac Tchad pour récupérer les animaux qu’ils ont dû abandonner en mai 2015 lors de l’évacuation des îles et villages ordonnée par les autorités régionales.
Selon les membres de l’équipe d’Alternative, les deux mesures annoncées par le Préfet de N’guigmi ont été diversement accueillies et interprétées par les leaders communautaires Peulh et Buduma ; les premiers y voyant une solution acceptable à laquelle ils ont promis de se plier, et les seconds les interprétant comme une façon subtile pour les autorités régionales de cautionner les actes du groupe d’auto-défense issu de la communauté Peulh. Les leaders de la communauté Buduma, qui suspectent donc les autorités régionales de parti pris, ont décidé de porter l’affaire devant les tribunaux ; estimant que la solution préconisée par le Gouverneur de la région et portée à leur connaissance par le Préfet de N’guigmi, ne rend pas justice à leur communauté qui a perdu beaucoup d’hommes et d’animaux.
Dans une lettre adressée au Ministre de l’Intérieur, au lendemain de la rencontre de Kablewa et suite aux affrontements meurtriers intervenus trois jours après, les leaders des communautés Buduma et Sugurti (Kanuri) ont exprimé leur indignation face à ce qu’ils ont appelé « l’incompétence et le laxisme des autorités administratives et coutumières de N’guigmi dans le traitement de ce conflit communautaire ». Les leaders communautaires signataires de cette lettre se demandent « pourquoi des milices d’autodéfense uniquement Peulh et Mohamid, et pourquoi les laisse-t-on opérer en toute impunité dans une zone ne relevant pas de leur terroir d’attache et de surcroit zone militaire » ; car, selon eux, ce sont eux « les Buduma et les Kanuri qui continuent à payer le prix fort au cynisme et à la barbarie de Boko Haram », malgré la stigmatisation et l’amalgame consistant à les y assimiler.
Selon le compte rendu de l’équipe d’Alternative, des responsables de la communauté Peulh, interrogés sur le sujet lors de la rencontre de Kablewa, estiment eux aussi que « les peulhs sont les premières victimes de Boko Haram et que maintenant ils ont décidé de se défendre ». Les informations en provenance du terrain laissent entendre justement que la constitution des groupes d’autodéfense Peulh et Mohamid fait suite à des exactions commises par Boko Haram, notamment l’enlèvement de femmes Peulh ; elles laissent penser également que les affrontements entre des membres de ces communautés se déroulent sur fond, d’une part d’un amalgame entre Boko Haram et Buduma, et d’autre part d’une tolérance des autorités à l’égard des groupes d’autodéfense.
En effet, tous les témoignages recueillis auprès de plusieurs sources locales indiquent clairement que les autorités régionales ont laissé des éléments issus des communautés Peulh et Mohamid, armés de fusils et d’armes blanches, s’installer dans le lit du lac Tchad d’où elles ont pourtant décidé d’évacuer toutes les populations civiles en mai 2015. Cette accusation se fonde notamment sur le fait que, après les affrontements meurtriers d’avant le mois de ramadan, les autorités régionales n’ont pas pris immédiatement des mesures pour désarmer les groupes d’autodéfense dont elles ont constaté elles-mêmes l’existence lorsqu’elles sont allées dans le lit du lac Tchad récupérer les corps des membres de la communauté Buduma.
Le Chef de village de N’gorea, qui faisait partie de la délégation officielle qui a effectué le déplacement de Gadawar pour chercher les corps des Buduma tués, n’en revient toujours pas d’avoir vu des autorités administratives, de surcroit accompagnées de gendarmes, se contenter de récupérer des corps, laissant ceux qui les ont tué s’en aller tout simplement. « Les éléments du groupe d’autodéfense Peulh auprès desquels les sept (7) corps des Buduma ont été récupérés, ont refusé de montrer même les tombes des neufs premiers tués, et ils n’ont ni été arrêtés, ni même inquiétés par les autorités, on les a laissé disparaitre dans le lac », a-t-il déclaré à l’équipe d’Alternative.
Eu égard à la gravité de ces faits, il faut espérer qu’après ces derniers affrontements meurtriers, qui sont intervenus quelques jours seulement après la rencontre de Kablewa, les autorités régionales et nationales vont prendre leurs responsabilités pour trouver une vraie solution à l’escalade actuelle des violences à caractère communautaire ; car, si rien de sérieux n’est fait immédiatement, il est certain que cette escalade finira par éroder l’autorité de l’État et aggraver davantage une situation sécuritaire et humanitaire déjà très dramatique pour l’ensemble des populations de la région de Diffa.
En tout cas, il convient de noter que la survenance de ces derniers affrontements, au moment où les forces armées du Niger et du Tchad sont mobilisées pour intervenir en territoire nigérian et neutraliser les éléments de Boko Haram, est un signal fort, qui vient rappeler à tous que l’insécurité dans la région de Diffa pourrait encore se prolonger longtemps sous la forme d’un conflit à caractère communautaire ; et cela du seul fait que la faible présence des forces de défense et de sécurité, doublée d’un laxisme patent des autorités régionales, a laissé le champs ouvert à des initiatives d’autodéfense qui dérivent aujourd’hui en conflits meurtriers entre des communautés dont l’intérêt évident est de s’unir face à un péril auquel aucune ne peut échapper toute seule.